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Tuesday, June 14, 2011

Visite au Caire de l’après révolution. Voyage au coeur du changement



    Un nouveau jour se lève sur le pays du Nil. Un vent nouveau balaie le sable et les âmes assouppies pendant des décenies, et souffle vie dans les murs et les pavés.
 A ceux qui croient avoir visité l’Egypte, ce nouveau pays vous dit: venez voir la gloire de ce peuple pour en tomber inéluctablement amoureux.

    Mars 2011, deux mois jour pour jour depuis le début de la révolution du 25 janvier. Ce n’est pas ma première visite au pays, mais une visite remise plusieurs fois vu la situation qui a prit le monde par surprise. Après des semaines passées scotchée comme vous devant ma télé, je décide enfin de prendre cet avion pour mes rendez-vous de travail et pour revoir mes amis devenus des incollables de la Place Tahrir.

   A la sortie de l’aéroport, je saute dans un taxi “limousine” (une simple Kia rouge), et indique à mon chauffeur mon adresse. Quelques mots échangés suffisent à délier la langue de ce type de 65 ans. Et la révolution vient s’installer sur le banc, là, tout près de moi.
“La révolution vient de commencer, ma soeur, le régime est toujours là. Il faut avoir le souffle long, et je suis prêt à passer le restant de ma vie à descendre chaque vendredi s’il le faut, à Tahrir, pour donner un meilleur lendemain à mes enfants.”
Mon chauffeur travaille 12 heures par jour pour toucher 300 Gineh (51 dollars environ) par mois, pour une famille de cinq. Mais dans son regard que je voit dans le rétroviseur, pétille une fierté, et une foi inouies.

    “Hausse ta tête mon frère, tu es Egyptien”. Une phrase inlassablement répétée par le peuple qui a su faire sa révolution non-violente, au beau milieu d’une région “effervessente” et classée violente par le monde “civilisé”. Un message retentissant et une leçon de tolérence que le peuple Egyptien offre au monde du 21ème siècle tout en se découvrant soi-même une dignité et une fierté de la taille des Pyramides! Et cette dignité ne peut plus jamais leur être otée.
    Quel bonheur de découvrir ce peuple sous un nouveau jour. Partout; dans le hall de mon petit hotel, dans les taxis, dans les couloirs, dans la rue, dans le centre-ville, dans les Pyramides, dans les restaurants...le “virus” Libanais longtemps exclusif dans la région, a finalement frappé nos voisins Egyptiens: tout le monde s’essaie à la politique. Et on se régale! Pas moyen de se sentir touriste au Caire, ce peuple peut enfin s’exprimer, et il ne se lasse pas de discuter situation, futur, argent public, jugement, institutions, armée, police secrète, médias... Je me régale! Les discussions s’enflamment vite. 

Au Caire, en ce mois de mars, il ya ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre. Une situation totalement méconnue il y a quelques mois seulement.
    Je particippe à des des discussions à bâtons rompus entre ceux  qui en ont marre de cette révolution qui, selon eux, n’a pas changé leur situation financière, ou n’a pas donné un changement radical puisque l’armée ayant soutenu Mubarak pendant trois décenies, est toujours là à gérer le pays, et ceux qui voient loin, et tiennent à terminer cette marche vers la liberté; ceux qui acceptent de manger leur Foul ou Taamiyya ou Koshary le matin ou le soir comme seul plat encore quelques temps, pour construire un futur démocratique, et ceux qui veulent s’essayer au saumon et caviar avec leur part de la fortune de l’ex-président , aujourd’hui.
    Il y a ceux qui veulent tout maintenant, et ceux qui veulent tout mais pas à pas. Dans les deux cas, le mot “tout” règne incontestablement.
    Il y a ceux qui sont confiants et patients, et ceux qui ont peur et impatients.
    Il y a les Coptes confiants et les Coptes sceptiques, les frères musulmans plutôt nationalistes et les frères musulmans qui font “peur”. Il y a les Chiites (que je ne vois pas), les Catholiques, les Sunnites, les laics, les libéraux...un beau pot-pourri humain qui fait surface avec ses peurs et ses angoisses... Un premier exercice dans la marche vers la démocratie: avoir plusieurs avis, discuter, hausser le ton, se chamailler, se brouiller, et finir par fumer une Shisha dans un café improvisé sur le trottoir à la tombée de la nuit, près d’un char de l’armée postée au coin, sourire aux lèvres, et graffitis sur la ferraille.
 

Tahrir

    Entre deux rendez-vous, je change mes talons aiguilles, et file mes ballerines pour une longue marche depuis Garden City jusqu’à la place Tahrir, le pèlerinage à faire de facto lors du passage au Caire, avant même les Pyramides.  Je vois un groupe de manifestants devant un immeuble, je demande, et on me dit que ce sont des professeurs demandant une hausse de salaire . Je longe la corniche du Nil, et passe devant le beau bâtiment de la Ligue Arabe sans son Amr Moussa, déjà loin dans sa course vers la présidence du pays de la révolution. Les gens pressent le pas, discutant politique et situation actuelle, je tend l’oreille en jubilant. On se croirait à Beyrouth!
    Place tahrir droit devant mon capitaine! Je ne peux pas la rater, embouteillage à n’en plus finir, sortie du métro à ma droite, et plein de tentes et de monde sur le rond-point. J’y suis! Enfin!
    Petit bémol quand-même, avant de me faufiler en kamikaze entre les voitures pour fouler la pelouse qui a fait l’histoire actuelle, je dois passer par des dizaines de vendeurs ambulants de “révolution”, un business à part entière proliférant aux quatre coins de la place. Des autocollants représentant les plaques d’immatriculation détournées avec la date du 25 janvier 2011, des badges, des T-shirts, des fanions, aux couleurs du drapeau national... Ah! La Chine! Elle sait vite faire son business! Je sens l’odeur des nouilles tout d’un coup! Mais comme tout le monde, voulant garder un souvenir de ma visite, j’achète un autocollant qui va rester coincé dans un bouquin toute sa vie.
    Enfin, après maintes tentatives de liquidation par les voitures, je met pied sur la pelouse de Tahrir... Les têtes se retournent, des hommes de tous les âges me dévisagent. Ils doivent se connaître un à un maintenant, alors forcément, j’inquiète. Dois-je avoir peur? Pas le moindre du monde! Vite, je me sens très bien, entre tentes bleues, rouges, bariolées, en tissu, en nylon, entre pancartes amusantes et d’autres fatalistes, entres enfants, ados, adultes et seniors, entre vendeurs (encore) grillés par le soleil, entre des corps endormi dans les buissons sous le soleil de midi, entre deux ou trois manifestations aux quatre coins du lieu... L’ambiance est bonne enfant. Alors je prend mon appareil photo pour imprimer ce moment. Et là, la surprise. “Journaliste? Quel média? Venez filmer notre tente.” “Je suis du parti Wafd, je vais vous indiquer la tente des dames(...)” “ Prends-nous en photo madame”... Voilà donc! On me prend pour journaliste en fonction. J’ai beau répéter que c’est juste pour mon album personnel, rien n’y fait. Alors je vais m’asseoir en tailleur avec une bande de femmes assises là depuis le 25 janvier peut-être, et on papote révolution et potins de femmes, on rigole et on se découvre des noms de familles similaires... En prenant congé, j’entend le type du Wafd leur demander si j’ai pris une entrevue (!).
    Je continue ma tournée et je retrouve face à moi le bâtiment du Musée National, ce bâtiment qui a subi une tentative de vol d’un héritage mondial , et qui a été défendu par les manifestants avec une chaîne humaine qu’ils ont improvisé tout-autour (une image de respect qui colle désormais à ma mémoire), et je clique sur mon détonateur, pour le garder à jamais dans ma boîte à souvenirs...
    Un peu plus loin, un groupe de manifestants crie “non à la loi d’urgence”, je clique encore. Je cherche le cercle des martyrs de la révolution que j’ai vu à la télé, mais on m’informe qu’il a été enlevé... déception...
    Mais ce qui me touche le plus, c’est que dès que je dis ma nationalité, je reçois la réplique: “Agdaa nass el Lebnaniyyin”(les plus courageux, les Libanais), et tout de go “Ba’ena zayyokom”(on est désormais comme vous). Peut-on ne pas les aimer, ces révolutionaires?


LA nuit

    Le soir tombe langoureusement et lentement sur le Caire, et peu à peu, le bruit incessant des klaxons des voitures (paraît que les Egyptiens utilisent le klaxon comme freins), les cris des vendeurs ambulants et l’embouteillage se calment. Il est temps aux familles de sortir dîner, flâner et boire un thé à la menthe ou fumer une Shisha. Eux sortent avec leurs enfants à l’heure où les nôtres sont au lit pour laisser papa et maman sortir. Le Nil jette son charme noir comme la nuit sous les reflets des lumières des trottoirs. Il est très présent le Nil, même quand vous ne le voyez pas.

    Mes amis m’emmènent d’un restaurant chic et branché à un café trottoir près de la bourse, juste après la fin d’une mini-manifestation demandant la continuation de la fermeture de cette bourse pour ne pas subir des pertes monaitaires. Entre ces deux arrêts , on me fait manger le fameux Koshary de chez Abou Tareq, au bas d’un immeuble “penché” à cause de deux étages hors normes(...) J’en mange et regrette aussitôt! Un plat amidonné à fond, du béton pour mes pauvres entrailles!

    La Shisha est à essayer au Caire de l’après révolution, elle a un goût de liberté incomparable. Elle s’accompagne de discussions et de rigolades, de politique et de privé, de voitures se faufilant entre les tables, d’odeurs de tabac mêlé aux odeurs du Nil, des égouts, de parfums de femmes, de dépôts d’échappements, bref, des odeurs de ville orientale grouillant de vie avec un zeste de liberté.
    Malheureusement, l’ambiance n’est toujours pas à la fête, et le couvre-feu entre minuit et six heures du matin, vient nous rappeler la réalité que tout n’est pas fini, et que la situation reste précaire, alors on court comme on peut, on saute dans un ènième taxi, on cause politique, dignité et fierté dans le dernier embouteillage de la journée.
 Déjà je suis dans ma chambre, dans un silence fou. Alors pour avoir ma dose d’émotion, je mets la télé pour suivre les nouvelles de la Lybie à côté, rêvant déjà d’une visite à ce pays méconnu sous un ciel libre.
    Quelques heures, et je dois rentrer dans le seul avion de la MEA pour la journée. Je regrette déjà ce séjour tellement court dans ce pays qui a changé en trois semaines le cours de l’histoire.

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